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— C’est vous qui, il y a trois mois, avez sauvé de l’exil l’étudiant Podkoumoff et l’employé Chvabrine ?

Le haut fonctionnaire rougit un peu et l’invita à se calmer.

— J’ai entendu dire, reprit aussitôt le prince en s’adressant à Ivan Pétrovitch, — que, dans le gouvernement de ***, vos anciens serfs ayant été fort éprouvés par un incendie, vous leur avez cédé gratuitement tout le bois dont ils avaient besoin pour reconstruire leurs demeures, quoique vous eussiez eu beaucoup à vous plaindre d’eux depuis leur émancipation ?

— Oh, c’est une exagération, murmura Ivan Pétrovitch avec une modestie orgueilleuse ; mais, cette fois, il était dans le vrai en traitant d’« exagération » les paroles du prince : le bruit parvenu aux oreilles de ce dernier était complètement faux.

Le visage souriant, Muichkine se tourna ensuite vers la princesse Biélokonsky :

— Et vous, princesse, poursuivit-il, — il y a six mois, est-ce que vous ne m’avez pas reçu comme un fils à Moscou, après la lettre d’Élisabeth Prokofievna ? Le fait est que, comme à un véritable fils, vous m’avez donné un conseil que je n’oublierai jamais. Vous en souvenez-vous ?

— Quelles extravagances tu débites ! repartit avec colère la vieille dame : — tu es un homme bon, mais ridicule : on te donne deux grochs, et tu remercies comme si on t’avait sauvé la vie. Tu crois cela louable et c’est tout le contraire.

Elle était vraiment fâchée, mais soudain elle se mit à rire et, cette fois, avec une gaieté exempte de toute amertume. Les traits d’Élisabeth Prokofievna se rassérénèrent et le visage d’Ivan Fédorovitch rayonna.

— J’ai dit que Léon Nikolaïtch était un homme… un homme… en un mot… seulement, voilà, il ne devrait pas s’échauffer, comme la princesse l’a fait observer… balbutia le général répétant dans sa joie les paroles de la princesse Biélokonsky dont il avait été frappé.