Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/322

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étaient nets, mais incomplets ; il se rappelait pourtant qu’une demi-heure après son attaque on l’avait ramené chez lui. Il apprit que les Épantchine avaient déjà envoyé demander de ses nouvelles. À onze heures et demie arriva un second exprès ; cela fit plaisir au prince. Une des premières visites qu’il reçut fut celle de Viéra Lébédeff qui vint lui offrir ses services. Dès qu’elle l’aperçut, elle fondit soudain en larmes. Le prince s’empressa de la consoler, et bientôt elle se mit à rire. Frappé de l’extrême compassion que lui témoignait cette jeune fille, il lui prit la main et la baisa. Viéra rougit.

— Ah, qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce que vous faites ? s’écria-t-elle effrayée, et elle retira vivement sa main.

Elle s’éloigna au plus vite, en proie à un trouble étrange. Durant cette courte visite, Viéra raconta au prince, entre autres choses, que le matin, à la première heure, son père avait couru chez le « défunt », comme il appelait le général, pour s’informer s’il n’était pas mort dans la nuit ; elle ajouta qu’on ne lui donnait plus longtemps à vivre. Entre onze heures et midi Lébédeff rentra chez lui et se rendit auprès du prince, mais « pour une minute seulement, pour s’informer de la précieuse santé…. » etc. ; il voulait aussi jeter un coup d’œil dans la « petite armoire ». L’employé ne faisait que pousser des : « oh ! » et des « ah ! » Le prince se hâta de le congédier ; toutefois, avant de s’en aller, Lébédeff questionna au sujet de l’accès survenu la veille, bien que cette histoire, évidemment, lui fût déjà connue dans tous ses détails. Après lui, pour une minute aussi, vint Kolia. Ce dernier était véritablement pressé. Il arriva sombre et inquiet. Sa première parole fut pour conjurer le prince de lui révéler tout ce qu’on lui cachait ; d’ailleurs, dit-il, il avait déjà presque tout appris dans la journée d’hier.

Muichkine raconta l’affaire aussi exactement que possible, mais en mêlant à son récit l’expression de sa profonde sympathie. Frappé comme d’un coup de foudre, Kolia ne put proférer un mot et se mit à pleurer silencieusement. Le pauvre garçon venait d’éprouver une de ces impressions qui