Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/371

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vanta la beauté, et les éloges qu’il fit de chacun d’eux la rendirent encore plus heureuse. Mais Nastasia Philippovna ne put cacher pourquoi elle tenait tant à la somptuosité de sa mise : elle avait entendu dire qu’en ville on était indigné, que des polissons préparaient un charivari avec accompagnement de musique, que des vers avaient été composés pour la circonstance, et que le reste de la société encourageait plus ou moins tout cela. Eh bien, puisqu’on prétendait l’humilier, elle voulait relever la tête plus haut que jamais, écraser tout le monde par l’élégance et la richesse de sa toilette, — « qu’ils crient, qu’ils sifflent, s’ils l’osent ! » À cette idée, les yeux de Nastasia Philippovna étincelaient. Au fond, elle avait encore un autre motif dont elle ne disait rien : elle présumait in petto qu’Aglaé ou, du moins, quelque personne envoyée par elle assisterait à la cérémonie incognito, confondue dans la foule, — et elle s’apprêtait en prévision de cette éventualité. À onze heures du soir, quand le prince la quitta, ces pensées l’occupaient toute entière. Mais minuit n’était pas encore sonné que Daria Alexievna faisait dire au prince de venir au plus vite parce qu’une crise très-violente était survenue à Nastasia Philippovna. Quand il arriva, la jeune femme, enfermée dans sa chambre à coucher, était en proie à une attaque de nerfs, elle pleurait, se désespérait. On lui parla à travers la porte ; pendant longtemps elle ne voulut rien entendre ; à la fin elle ouvrit, mais ne consentit à recevoir que le prince ; sitôt qu’il fut entré, elle referma la porte et tomba à genoux devant lui. (Voilà, du moins, ce qu’a raconté plus tard Daria Alexievna, dont l’œil curieux parvint à surprendre quelques détails de la scène.)

— Que fais-je ! Que fais-je ! Que fais-je de toi ! s’écriait-elle en lui embrassant convulsivement les genoux.

Le prince passa une heure entière avec elle ; nous ignorons de quoi ils s’entretinrent durant cette entrevue. Suivant Daria Alexievna, quand ils se séparèrent, au bout d’une heure, ils paraissaient en bonne intelligence et heureux. Cette nuit le prince fit demander encore une fois des nou-