Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/376

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jusqu’à sa demeure et y pénétrèrent à sa suite. En outre, toute la villa était littéralement assiégée par un public de désœuvrés. Étant encore sur la terrasse, le prince entendit le bruit d’une discussion violente : Keller et Lébédeff étaient aux prises avec une bande d’inconnus qui paraissaient être des employés, et qui voulaient à toute force envahir la terrasse. Plusieurs de ces individus avaient à leur tête un monsieur à cheveux blancs et de complexion robuste. Le prince s’approcha et, après s’être enquis du motif de la querelle, invita poliment Lébédeff et Keller à s’éloigner ; puis, s’adressant d’un ton plein de courtoisie au monsieur à cheveux blancs qui se tenait campé sur l’escalier, il le pria de vouloir bien lui faire l’honneur de sa visite. Le monsieur fut décontenancé, néanmoins il suivit le prince. Sept ou huit de ses compagnons firent de même, et pénétrèrent dans la maison en affectant des allures aussi dégagées que possible. Mais tous les autres restèrent dehors, et bientôt il n’y eut qu’une voix dans la foule pour donner tort à ceux qui s’étaient permis d’entrer.

Le prince offrit des sièges à ses étranges visiteurs, leur fit servir du thé et se mit à causer avec eux. Les choses se passèrent très-convenablement, ce qui ne fut pas sans étonner un peu les intrus. Il y eut bien quelques tentatives pour égayer la conversation et la mettre sur l’événement du jour, on put entendre certaines questions indiscrètes, certaines remarques malicieuses. Mais le prince répondit à tout le monde avec tant de simplicité, de bonhomie et en même temps de dignité, il se montra si confiant dans le savoir-vivre de chacun, que les questionneurs mal-appris se turent spontanément. Peu à peu la causerie devint presque sérieuse. Un monsieur, prenant tout à coup la parole, fit avec une extrême véhémence la déclaration suivante : « Quoi qu’il arrive, je ne vendrai pas mon bien, j’attendrai ; les entreprises valent mieux que l’argent, voilà, monsieur, en quoi consiste mon système économique, si vous voulez le savoir ! » Comme il s’adressait au prince, ce dernier l’approuva hau-