Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/394

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cement, — c’était toujours toi qu’elle craignait. Dans le train, elle était vraiment comme une folle, tant elle avait peur, et c’est elle-même qui a désiré loger ici, chez moi ; je pensais d’abord à la mener chez l’outchitelcha, — bah oui ! « Il m’y découvrira, dit-elle, demain au point du jour il ira voir là ; cache-moi chez toi, et demain à la première heure nous partirons pour Moscou » ; ensuite elle a parlé d’Orel ; elle s’est couchée, répétant toujours que nous irions à Orel…

— Attends : qu’est-ce que tu veux faire maintenant, Parfène ?

— Mais voilà, tu m’inquiètes, car tu trembles toujours. Nous passerons la nuit ici, ensemble. Il n’y a pas d’autre lit que celui-là, mais j’avais pensé à prendre les coussins des deux divans et à les placer contre l’alcôve, pour que nous couchions-là, toi et moi. Parce que, quand on viendra faire des recherches, on la verra immédiatement et on l’emportera. On m’interrogera, je dirai que c’est moi, et on m’emmènera tout de suite. Eh bien, qu’à présent elle repose ici ; près de nous, près de moi et de toi…

— Oui, oui ! approuva chaleureusement le prince.

— C’est-à-dire qu’il ne faut pas avouer, qu’il ne faut pas la laisser emporter.

— Non, non, pour rien au monde ! Non, non, non !

— C’était bien mon intention, mon ami, de ne la céder à personne, reprit Rogojine. — Nous la veillerons sans faire de bruit. J’ai passé toute la journée auprès d’elle, sauf que le matin je suis sorti pendant une heure. Et ensuite, le soir, j’ai été te chercher. Voici encore une chose que je crains, c’est l’odeur, d’autant plus que la température est étouffante. Tu ne sens rien ?

— Peut-être que je sens quelque chose, je ne sais pas. Demain matin, pour sûr, il y aura de l’odeur.

— Je l’ai enveloppée dans une toile cirée, — une bonne toile d’Amérique, — par-dessus laquelle j’ai mis un drap, et j’ai placé là quatre flacons débouchés de liquide Jdanoff ; ils y sont encore.