Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à la promenade, Élisabeth Prokofievna attira à elle, par un mouvement plein de dignité, la corbeille où se trouvait son ouvrage.

— Je me rappelle qu’il a fait beaucoup de phrases sur ce mur, reprit Eugène Pavlovitch, — sans ce mur il ne pourra pas mourir éloquemment, et il tient fort à cela.

— Eh bien, quoi ? murmura le prince. — Si vous ne voulez pas lui pardonner, il mourra sans votre pardon… C’est pour les arbres qu’il s’est maintenant transporté ici.

— Oh ! en ce qui me concerne, je lui pardonne tout ; vous pouvez le lui dire.

— Ce n’est pas ainsi qu’il faut comprendre cela, répondit le prince à voix basse et comme avec répugnance, tandis qu’il tenait toujours ses yeux fixés à terre, — il faut que vous consentiez aussi à recevoir son pardon.

— Qu’est-ce que j’ai fait ? Quel tort me suis-je donné envers lui ?

— Si vous ne le comprenez pas, en ce cas… mais vous le comprenez ; il voulait alors… vous bénir tous et recevoir votre bénédiction, voilà tout…

Le prince Chtch… échangea un regard avec une des personnes présentes, puis, d’un ton qui exprimait une certaine inquiétude :

— Cher prince, se hâta-t-il de dire, — le paradis sur la terre ne s’obtient pas facilement, et vous paraissez vous faire quelque illusion à ce sujet ; le paradis est une chose difficile, prince, beaucoup plus difficile que ne le croit votre excellent cœur. Nous ferons mieux d’en rester là, autrement il y aura encore de la confusion pour tout le monde, et alors…

— Allons entendre la musique, décida d’un ton roide Élisabeth Prokofievna, et elle se leva avec colère.

Tous firent comme elle.