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temps de sa conversation avec le général, et, profitant d’un faible rayon de lumière, il lut ce qui suit :

« Demain à sept heures du matin je serai sur le banc vert, dans le parc, et je vous attendrai. J’ai à vous parler d’une chose de la plus haute importance et qui vous concerne directement.

« P. S. J’espère que vous ne montrerez ce billet à personne. Je ne me décide qu’à regret à vous faire une pareille recommandation, mais j’ai réfléchi qu’elle n’était pas superflue, eu égard à votre ridicule caractère dont je rougis pour vous en écrivant ces lignes.

« PP. SS. Le banc vert dont il s’agit est celui que je vous ai montré tantôt. C’est une honte pour vous que je sois forcée d’ajouter encore cela. »

Le billet avait été écrit précipitamment et plié à la diable, sans doute une minute avant qu’Aglaé se rendît sur la terrasse. En proie à une agitation inexprimable, à une sorte de crainte, le prince s’écarta de la fenêtre avec la promptitude d’un voleur effrayé ; mais, dans ce brusque mouvement de recul, il se heurta contre un monsieur qui se trouvait juste derrière lui.

— Je vous suis, prince, dit le monsieur.

— C’est vous, Keller ? cria Muichkine étonné.

— Je vous cherche, prince. Je vous ai attendu près de la villa des Épantchine ; naturellement, je ne pouvais pas entrer. Je me suis attaché à vos pas lorsque vous êtes sorti avec le général. À votre service, prince, disposez de Keller. Il est prêt à se sacrifier et même à mourir, s’il le faut.

— Mais… pourquoi ?

— Eh bien, vous allez, pour sûr, être appelé en duel. Ce lieutenant Molovtzoff, je le connais, c’est-à-dire pas personnellement… il ne supportera pas une insulte. Nous autres, je veux dire Rogojine et moi, il est disposé, naturellement, à nous considérer comme de la canaille, et peut-être n’a-t-il pas tort, par conséquent c’est vous seul qui devrez lui rendre