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bouschka ; n’avez-vous aucune amie à qui vous puissiez faire des visites.

— Aucune ?

— Voulez-vous venir avec moi au théâtre.

— Au théâtre ! Et la babouschka ?

— Qu’elle n’en sache rien !

— Non ! dis-je. Je ne veux pas tromper la babouschka. Adieu.

— Eh bien, adieu.

Et il n’ajouta plus rien.

Après le dîner il vint chez nous, s’assit, demanda à la babouschka si elle avait des connaissances, lui parla longuement.

— Ah ! dit-il tout à coup, j’ai aujourd’hui une loge pour l’Opéra. On donne le Barbier.

— Le Barbier de Séville ? s’écria la babouschka. Mais est-ce le même Barbier que de mon temps ?

— Oui, dit-il, le même ! Et il me regarda.

J’avais tout compris, mon cœur tressaillait d’attente.

— Mais comment donc ? mais moi-même dans mon temps j’ai joué Rosine sur un théâtre d’amateurs.

— Eh bien ! voulez-vous y aller aujourd’hui ? Il serait dommage de perdre ce billet.

— Eh bien, oui ! pourquoi pas ? Nastenka n’est pas encore allée au théâtre !

Mon Dieu quelle joie ! Nous nous apprêtâmes et partîmes aussitôt. La babouschka disait qu’elle ne verrait pas la pièce mais qu’elle entendrait la musique. Et puis, c’est une bonne vieille. Elle voulait surtout m’amuser, car toute seule, elle n’y serait pas allée. Quelle impression j’eus du Barbier, je ne vous la dirai pas. Toute la soirée, le locataire me regarda si gracieusement, me parla si bien, que je compris aussitôt qu’il avait voulu m’éprouver le matin en m’offrant d’aller seule avec lui. Ah ! que j’étais heureuse ! Je me sentais orgueilleuse, j’avais la fièvre, et toute la nuit je rêvai du Barbier.