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le joueur

IV


Une journée absurde. Il est onze heures du soir. Je reste dans ma chambre. Je repasse mes souvenirs.

Ce matin, il a fallu aller jouer à la roulette pour Paulina. J’ai pris ses seize cents florins, mais à deux conditions : que je ne consens pas à partager le gain, et qu’elle m’expliquera ce soir même pourquoi elle veut de l’argent et combien elle en veut, car c’est évidemment dans un but particulier. Elle m’a promis des explications, et je suis parti.

Il y avait foule au salon de jeu. Oh ! les avides et insolentes créatures ! Je me suis faufilé jusqu’auprès du croupier, puis j’ai commencé timidement, en risquant deux ou trois pièces. Cependant je faisais des observations. À proprement parler, il n’y a pas de calcul dans ce jeu. Du moins, le calcul n’y a pas l’importance que lui attribuent les joueurs de profession, qui ne manquent pas de noter les coups sur un petit papier, de faire d’interminables calculs de probabilités et de perdre comme les simples mortels qui jouent au hasard. M. Astley m’a donné beaucoup d’explications sur les sortes de rythmes qu’affecte le hasard, en s’obstinant à préférer tantôt la rouge à la noire, tantôt la noire à la rouge, pendant des suites incroyables de coups. Chaque matin, M. Astley s’assied à une table de jeu, mais sans jamais rien risquer lui-même.

J’ai perdu toute la somme et assez vite. D’abord j’ai joué sur le pair deux cents florins, et j’ai gagné, puis rejoué et regagné trois fois.

C’était le moment de m’en aller. Mais un étrange désir s’empara de moi. J’avais comme un besoin de provoquer