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le joueur

— Mais sans doute, il est assez naturel que le général veuille savoir comment vous agirez.

Et, pour m’écouter, il s’assit dans une position très commode, la tête renversée sur le dossier de son fauteuil. Je fis tous mes efforts pour lui laisser croire que je prenais la chose au sérieux ; je lui expliquai que le baron m’avait offensé en s’adressant au général comme si je n’étais qu’un domestique, qu’il m’avait fait priver de ma place, que, naturellement, je me sentais blessé, mais que je savais comprendre les différences de position sociale et d’âge… Je me tenais à grand’peine pour ne pas éclater de rire.

— Je ne veux pas commettre une légèreté de plus, ajoutai-je. Je n’irai pas demander réparation au baron ; mais je crois avoir le droit d’offrir mes excuses à la baronne. Pourtant, je renonce même à cela, les procédés offensants du général et du baron ne me le permettant plus. Tout le monde croirait que j’ai fait des excuses dans le but de rattraper ma place. Tout compte fait, il faudra donc que j’exige, moi, des excuses du baron ; mais dans une forme assez modérée. Par exemple, qu’il me dise : « Je n’ai pas voulu vous offenser. » Et alors, à mon tour, les mains libres et le cœur ouvert, je lui offrirai mes excuses. En un mot, terminai-je, je demande que le baron me délie les mains.

— Fi ! quelle subtilité ! quelle finesse exagérée ! Mais avouez donc, monsieur, que vous faites tout cela pour ennuyer le général… ou peut-être avez-vous quelque autre projet, mon cher monsieur… monsieur… pardon ; monsieur Alexis, n’est-ce pas ?…

— Mais, mon cher marquis, en quoi cela vous intéresse-t-il ?

— Eh bien ! le général…

— Et le général, en quoi cela l’intéresse-t-il ? Il manifestait hier quelque inquiétude ; mais comme il ne m’a rien expliqué…