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le joueur

de Grillet, avec une colère concentrée de bête fauve.

Du lait, de l’herbe fraîche (n’est-ce pas l’idylle idéale des bourgeois de Paris ? C’est pour eux le seul aspect de la nature véritable).

— Va-t’en donc avec ton lait ! Mets-t’en jusqu’aux yeux ; moi, j’en ai déjà trop… Et puis, que voulez-vous de moi ? Je vous dis que je n’ai pas le temps.

— Nous sommes arrivés, babouschka, lui dis-je ; c’est ici.

Nous arrivions à la banque. J’entrai pour faire faire l’escompte ; la babouschka resta à la porte avec le général, de Grillet et Blanche, qui ne savaient quelle contenance prendre. Enfin, ils reprirent le chemin de la roulette.

On me proposa des conditions d’escompte si terribles que je ne pus prendre sur moi de les accepter. Je revins à la babouschka.

— Ah ! les brigands ! cria-t-elle. Eh bien ! tant pis ! change… Non, appelle ici le banquier.

— Un employé, babouschka ?

— Soit ! Ah ! les brigands !

L’employé consentit à sortir quand il sut que c’était une vieille comtesse impotente qui le demandait. La babouschka lui fit de longs reproches, le traita de voleur, essaya de marchander avec lui, en lui parlant une étrange langue composée de mots russes, allemands et français. L’employé, très grave, nous examinait tous deux en hochant silencieusement la tête, sans cacher assez sa curiosité : il en était impoli. Enfin il sourit.

— Eh bien ! va-t’en, cria la babouschka. Change, Alexis Ivanovitch.

Je changeai douze mille florins. Je portai le compte à la babouschka.

— Bien ! bien ! nous n’avons pas le temps de compter. Allons vite ! Plus jamais ni sur le zéro ni sur le rouge !

Cette fois, je tâchai de modérer ses mises en lui persuadant que nous serions toujours à temps pour hasarder