Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/190

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le Père Païsius lui adressa, sans aucun préambule, des paroles qui l’impressionnèrent profondément.

« Souviens-toi toujours, jeune homme, que la science du monde s’étant développée, en ce siècle principalement, elle a disséqué nos livres saints et, après une analyse impitoyable, n’en a rien laissé subsister. Mais en disséquant les parties, les savants ont perdu de vue l’ensemble, et leur aveuglement a de quoi étonner. L’ensemble se dresse devant leurs yeux, aussi inébranlable qu’auparavant, et l’enfer ne prévaudra pas contre lui. L’Évangile n’a-t-il pas dix-neuf siècles d’existence, ne vit-il pas encore maintenant dans les âmes des individus comme dans les mouvements des masses ? Il subsiste même, toujours inébranlable, dans les âmes des athées destructeurs de toute croyance ! Car ceux qui ont renié le christianisme et se révoltent contre lui, ceux-là mêmes sont demeurés au fond fidèles à l’image du Christ, car ni leur sagesse ni leur passion n’ont pu créer pour l’homme un modèle qui fût supérieur à celui indiqué autrefois par le Christ. Toute tentative en ce sens a honteusement avorté. Souviens-toi de cela, jeune homme, car ton starets mourant t’envoie dans le monde. Peut-être qu’en te rappelant ce grand jour tu n’oublieras point ces paroles, que je t’adresse pour ton bien, car tu es jeune, grandes sont les tentations du monde, et tu n’as sans doute pas la force de les supporter. Et maintenant va, pauvre orphelin. »

Sur ce, le Père Païsius lui donna sa bénédiction. En réfléchissant à ces paroles imprévues, Aliocha comprit qu’il avait trouvé un nouvel ami et un guide indulgent dans ce moine jusqu’alors rigoureux et rude à son égard. Sans doute, le starets, se sentant à l’article de la mort, avait-il recommandé son jeune ami aux soins spirituels du Père Païsius, dont cette homélie attestait le zèle : il se hâtait d’armer ce jeune esprit pour la lutte contre les tentations et de préserver cette jeune âme qu’on lui léguait, en élevant autour d’elle le rempart le plus solide qu’il pût imaginer.


II

Aliocha chez son père

Aliocha commença par se rendre chez son père. En approchant, il se rappela que Fiodor Pavlovitch lui avait recommandé la veille d’entrer à l’insu d’Ivan. « Pourquoi ? se demanda-t-il. Si mon père veut me faire une confidence, est-ce