Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/157

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son mépris devant sa mère, en faisant des allusions vagues aux intentions du soupirant. Mais après l’incident du chemin de fer il changea aussi de conduite sur ce point : il ne se permit plus aucune allusion et parla avec plus de respect de Dardanélov devant sa mère, ce que la sensible Anne Fiodorovna comprit tout de suite avec une gratitude infinie ; au moindre mot sur Dardanélov dit en présence de Kolia, fût-ce par un étranger, elle devenait rouge comme une cerise. Dans ces moments-là Kolia regardait par la fenêtre d’un air maussade ou examinait l’état de ses chaussures, ou encore appelait rageusement « Carillon », un chien à longs poils, d’assez grande taille et laid, qu’il avait recueilli depuis un mois et gardait au secret, sans le montrer à ses camarades. Il le tyrannisait, lui enseignait différents tours, si bien que le pauvre animal hurlait quand son maître partait au collège et aboyait joyeusement à son retour, gambadait comme un fou, faisait le beau, le mort, etc., bref, montrait les tours qu’on lui avait appris, cela non au commandement, mais dans l’ardeur de son enthousiasme et de son attachement.

À propos, j’ai oublié de dire que Kolia Krassotkine était le garçon auquel Ilioucha, déjà connu du lecteur, fils du capitaine en retraite Sniéguiriov, avait donné un coup de canif en défendant son père que les écoliers tournaient en ridicule en l’appelant « torchon de fille ».


II

Les gosses

Donc, par cette matinée glaciale et brumeuse de novembre, le jeune Kolia Krassotkine restait à la maison. C’était dimanche, il n’y avait pas de classe. Mais onze heures venaient de sonner, il lui fallait à tout prix sortir « pour une affaire très importante » ; néanmoins il demeurait seul à garder la maison, car les grandes personnes avaient dû s’absenter par suite d’une circonstance extraordinaire. La veuve Krassotkine louait un logement de deux pièces, le seul de la maison, à la femme d’un médecin qui avait deux jeunes