Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/218

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que c’est déjà ancien ; dès que je l’appris hier, je fus si frappée que je voulais vous envoyer chercher. Si on l’acquitte, je l’inviterai aussitôt à dîner, je réunirai des connaissances et nous boirons à la santé des nouveaux juges. Je ne pense pas qu’il soit dangereux ; d’ailleurs il y aura du monde, on pourra toujours l’emmener s’il fait le méchant. Plus tard, il pourra être juge de paix ou quelque chose de ce genre, car les meilleurs juges sont ceux qui ont eu des malheurs. Surtout, qui n’a pas son obsession maintenant ? vous, moi, tout le monde, et combien d’exemples : un individu est en train de chanter une romance, tout à coup quelque chose lui déplaît, il prend un pistolet, vous tue le premier venu et on l’acquitte. Je l’ai lu récemment, tous les docteurs l’ont confirmé. Ils confirment tout, maintenant. Pensez donc, Lise a une obsession ! elle m’a fait pleurer hier et avant-hier : aujourd’hui, j’ai deviné que c’était une simple obsession. Oh ! Lise me fait beaucoup de peine ! Je crois qu’elle a perdu l’esprit. Pourquoi vous a-t-elle fait venir ? Ou bien êtes-vous venu de vous-même ?

— Elle m’a fait venir et je vais la trouver, déclara Aliocha en se levant d’un air résolu.

— Ah ! cher Alexéi Fiodorovitch, voilà peut-être l’essentiel, s’écria en pleurant Mme Khokhlakov. Dieu m’est témoin que je vous confie sincèrement Lise, et ça ne fait rien qu’elle vous ait appelé à mon insu. Quant à votre frère Ivan, excusez-moi, mais je ne puis lui confier si facilement ma fille, bien que je le considère toujours comme le plus chevaleresque des jeunes gens. Imaginez-vous qu’il est venu voir Lise et que je n’en savais rien.

— Comment ? Quand cela ? dit Aliocha stupéfait. Il ne s’était pas rassis.

— Je vais tout vous dire. C’est peut-être pour cela que je vous ai fait appeler, je ne m’en souviens plus. Ivan Fiodorovitch est venu me voir deux fois depuis son retour de Moscou : la première, pour me faire une visite en qualité de connaissance ; la seconde, récemment. Katia se trouvait chez moi, il entra en l’apprenant. Bien entendu, je ne prétendais pas à de fréquentes visites de sa part, connaissant ses tracas, vous comprenez, cette affaire et la mort terrible de votre papa[1] ; mais j’apprends tout à coup qu’il est venu de nouveau, il y a six jours, pas chez moi mais chez Lise, où il est resté cinq minutes. Je l’ai appris trois jours après par Glaphyre ; ça m’a frappée. J’appelle aussitôt Lise qui se met à rire : il

  1. En français dans le texte.