Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bande, déclara au contraire que non-seulement on pouvait très-bien prendre Lizaveta pour une femme, mais encore que l’aventure lui semblait fort piquante. À cette époque, Fédor Pavlovitch portait un crêpe à son chapeau, étant en deuil de sa première femme, et l’on ne pouvait le voir sans dégoût se commettre dans de telles débauches, alors que sa situation même lui prescrivait une vie irréprochable. Sa sortie excita l’hilarité générale. On s’éloigna en ricanant.

Plus tard, il jura qu’il s’était éloigné avec les autres. Personne ne sut jamais la vérité ! Mais cinq mois plus tard, la ville s’indigna de voir Lizaveta enceinte, et l’on rechercha qui avait pu outrager la pauvre fille.

C’est alors qu’une rumeur terrible commença à circuler, laquelle accusait Fédor Pavlovitch. D’où venait ce bruit ? Des barines qui composaient la bande, un seul restait, vieil et respectable fonctionnaire d’État, chargé de famille, et qui ne se serait certes pas mêlé d’une telle affaire. Grigory défendit énergiquement la réputation de son barine et même se querella très-fort à ce sujet. « Elle seule est coupable », disait-il. Et il désignait comme son complice Karp, un forçat évadé, surnommé Karp-à-l’hélice, et qu’on soupçonnait de se cacher dans la ville. D’ailleurs, toutes ces rumeurs ne nuisirent nullement à l’idiote. Une marchande, une assez riche veuve, la recueillit chez elle pour lui éviter toutes privations jusqu’à son accouchement. On la surveillait sans relâche. Un soir pourtant, presque au moment de sa délivrance, Lizaveta se sauva de chez sa protectrice et vint dans le jardin de Fédor Pavlovitch. Comment, dans son état, avait-elle pu escalader une si haute barrière ? Cela resta une énigme. Les uns disaient