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102 I ES FRÈRES KARAMAZOV.

— Tais-toi, Alioscha, tais-toi, mon cher, et laisse-moi baiser ta main. Ah I cette gredine de Grouschegnka, elle connaît les hommes ! Elle me disait un jour qu'elle te man- gerait comme les autres... Bien ! bien! je me tais... Reve- nons à ma tragédie. Le vieux a menti quant à mes séduc- tions prétendues; mais, en réalité, cela m'arriva, une fois seulement, encore cela n'alla-t-il pas jusqu'à Yaccomplis- sement. Je n'ai jamais confié cela à personne; tu le sauras le premier, — après Ivan, toutefois : Ivan sait tout , il y a longtemps de cela, mais Ivan, c'est un tombeau.

— Comment? Ivan, c'est un tombeau?

— Oui.

Alioscha redoubla d'attention.

— Tu sais que j'étais sous-lieutenant dans un bataillon de ligne. J'y étais surveillé comme pourrait l'être un dé- porté. Mais on m'accueillait extraordinairement bien dans la petite ville. Je semais l'argent partout. On me croyait riche; d'ailleurs, je croyais l'être. Je devais aussi plaire pour d'autres motifs. On hochait la tète, quand on me voyait, à cause de mes fredaines; mais je t'assure qu'on m'aimait. Le lieutenant-colonel, un vieillard, me prit tout à coup en grippe. Toute la ville se mit de mon côté, et il ne put rien contre moi. C'est pourtant moi qui avais tort: par sotte fierté, je ne voulais pas lui rendre les respects qui lui étaient dus! Le vieil entêté, bon garçon au fond, avait été marié deux fois. Il était veuf. Sa première femme, d'extraction vulgaire, lui avait laissé une fille simple comme elle. Vingt-quatre ans. Elle vivait entre son père et sa tiuite. L'esprit vif, des allures dégourdies; je n'ai jamais rencontré plus charmant caractère de femme. Elle s'appe-

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