Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/208

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— Comme vous êtes intelligent! Où avez- vous appris tout cela?reprit, de plus en plus tendre, la voix de femme.

— J’en saurais plus encore sans le malheur qui me poursuit depuis mon enfance Sans ce misérable sort qui est le mien, je pourrais tuer en duel quiconque m’insulte- rait ! Mais voilà ! je suis né d’une puante • , et je n’ai point de père. Me l’a-t-on assez jeté à la figure, à Moscou! Car Gri- gory l’a dit à tout le monde. Au marché, ici, on raconte, — et votre mère elle-même, avec son indélicatesse, l’a répété sur tous les tons, — que ma mère avait les che- veux coagulés par la boue , qu’elle n’avait que deux ar- chines * de haut... et je hais tout le monde. Maria Kon- dratievna; je hais toute la Russie!

— Baste ! Si vous étiez un jeune sous - officier miU- taire, ou un petit hussard, vous ne parleriez pas ainsi; vous tireriez votre sabre et vous iriez défendre la Russie.

— Non-seulement je ne veux pas être un t hussard mi- litaire », Maria Kondratievna, mais encore je désire la suppression de tous les soldats.

— Et si l’ennemi vient, qui nous défendra ?

— A quoi bon? Jadis, en 1812, lors de la grande invasion de l’empereur Napoléon des Français, le premier, le père de celui d’aujourd’hui *, si nous avions été conquis , c’eût été très-bien : une nation très-intelligente aurait annexé les possessions d’une nation très-bête, et tout aurait changé.

— Avec ça qu’ils sont meilleurs que nous ! Je ne don-


’ Sens (lu mot Smerdiactchaïa.

  • L’archine vaut Om,711.
  • Il ne faut pas oublier que l’action se passe vers 1807, et que,

d’ailleurs, le laquais Smerdiakov arrange l’histoire à sa façon.