Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/215

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Je ris, mais je parle sérieusement. N’est-ce pas que tu es volontaire? J’aime cela. Quel que soit leur objet, et même à ton âge, j’aime les volontaires. Tu me semblés avoir de l’aflection pour moi, je ne sais pourquoi.

— Oui, je t’aime, Ivan. Dmitri dit : Ivan est un tombeau. Moi, je dis : Ivan est une énigme. Tu es, maintenant encore, une énigme pour moi. Pourtant je commence à lire en toi, depuis ce matin seulement.

— Quoi donc? demanda Ivan en riant.

— Au moins, ne te fâche pas, dit Alioscha en riant aussi.

— Va donc !

— Eh bien , je viens de m’apercevoir que tu es un tout jeune, un tout frais jeune homme comme les autres jeunes hommes de vingt-trois ans. — Ne suis-je pas allé trop loin ?

— Au contraire! je suis même étonné d’une coïncidence, dit Ivan avec élan. Croiras-tu que depuis notre rencontre chez elle je n’ai fait que songer à cette extrême jeunesse, à mes vingt-trois ans? Et voilà que tu commences en me parlant de cela! Tout seul ici, je songeais : Si je n’avais plus foi en la vie, si j’étais désespéré par la trahison d’une femme aimée; si j’étais convaincu que tout n’est que désordre , que nous sommes dans un chaos in- fernal, quand toute l’horreur des désillusions humaines m’investirait, je ne me tuerais pas, je voudrais vivre quand même! J’ai mis mes lèvres à la coupe enchantée, et je ne la laisserai pas avant d’en avoir vu le fond. Du reste, vers trente ans, il est possible que je la rejette sans l’avoir vidée , et j’irai je ne sais où. Mais jusqu’à trente