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l’intervention d’aucun médecin, soit de chagrins profonds, de mauvais traitements, etc., toutes choses que certains tempéraments de femmes ne peuvent supporter. Quant à l’étrange guérison instantanée de la possédée conduite devant le Saint Sacrement, guérison qu’on traite encore de comédie due peut-être à l’initiative des « cléricaux », c’est probablement la chose la plus naturelle du monde ; en effet, ces babas qui conduisent la malade, et la malade elle-même, croient comme à une incontestable vérité que l’esprit malin qui la tourmente s’enfuira dès qu’on sera parvenu à introduire la possédée dans une église et à l’agenouiller devant le Saint Sacrement : l’attente du miracle, — et d’un miracle certain, — doit nécessairement déterminer une révolution dans un organisme en proie à une maladie nerveuse, et, au moment où est accompli le rite prescrit, c’est cette révolution même qui produit le miracle.

La plupart des femmes qui se trouvaient là pleuraient d’enthousiasme et d’attendrissement. Les autres se pressaient pour baiser au moins le vêtement du saint. D’autres encore murmuraient des prières. Il les bénit toutes et échangea quelques paroles avec plusieurs d’entre elles.

— Celle-là vient de loin, dit-il en montrant une femme extrêmement maigre, une alcoolique dont le visage était non pas bronzé, mais noirci par le soleil.

Elle se tenait à genoux et regardait fixement le starets. Il y avait de l’extase dans ce regard.

— Oui, de loin, mon petit Père, oui, de loin ; trois cents verstes. Oui, de loin, Père ; oui, de loin, fit la femme, en traînant sur les mots.

Elle parlait comme on prie.