Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/245

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— Non pas ! Il se loue d’avoir supprimé la liberté pour rendre les hommes heureux, « Car c’est aujourd’hui pour la première fois ( il parle, naturellement, de la fondation de l’Inquisition] qu’on peut songer au bonheur des hommes. L’être humain est naturellement révolté : est-ce que des révoltés peuvent être heureux ? Tu étais averti, les conseils ne t’ont pas manqué, mais tu ne les as pas écoutés ; tu t’es privé du seul moyen réel de donner du bonheur aux hommes, mais tu nous as légué la besogne, tu nous as promis, tu nous as solennellement confié le droit de lier et de délier ; tu ne penses pas, j’espère, à nous retirer ce droit. Pourquoi donc es-tu venu nous déranger ? »

— Que signifient ces mots : c Les conseils ne t’ont pas manqué > ? demanda Alioscha,

— Mais c’est le point capital où le vieillard doit insister ! € L’Esprit terrible et intelligent, l’Esprit de la négation et du néant, reprend-il, t’a parlé dans le désert, et les Écritures attestent qu’il t’a « tenté ». Est-ce vrai ? et pouvait-on rien dire de plus profond que ce qui te fut dit dans les trois questions, ou, pour employer le langage des Écritures, dans les trois o tentations » que tu as repoussées ? S’il y eut jamais miracle authentique, foudroyant, c’est celui des trois tentations ! Le fait seul que ces trois questions aient pu être posées est par lui-même un miracle. Supposons qu’elles aient été effacées du Livre, qu’il faille les inventer, les imaginer de nouveau pour les y replacer. Supposons que, dans ce but, on réunisse tous les sages de la terre, hommes d’État, princes de l’Église, savants, philosophes, poëtes, et qu’on leur dise : — Cherchez, trouvez trois questions qui non-seulement