Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/251

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n’accuse que toi. Était-ce là ce qu’on te proposait ? Il y a sur la terre trois forces qui seules peuvent soumettre à jamais la conscience de ces faibles révoltés, — cela pour leur bien ; — ce sont : le miracle, le mystère, l’autorité. Tu les as repoussées toutes trois. L’Esprit terrible t’avait placé sur le faîte du temple et t’avait dit : « Veux-tu savoir si tu es le Fils de Dieu ? Précipite-toi en bas, car il est écrit que les anges le prendront sur leurs ailes : tu sauras alors si tu es le Fils de Dieu, et tu prouveras ainsi ta foi en ton Père. » Tu as repoussé la proposition, tu ne t’es pas précipité en bas du temple. Oh ! sans doute, tu affirmas par là même la sublime fierté d’un Dieu : mais les hommes, ces faibles, ces impuissants, ne sont pas des dieux ! Tu savais que, si tu avais seulement tenté de te précipiter en bas du temple, tu aurais aussitôt perdu ta foi en ton Père, tu aurais jonché des débris de ton corps, — à la grande joie du Tentateur, — cette terre que tu venais sauver. Mais, je te le répète, y a-t-il beaucoup d’êtres semblables à toi ? As-tu pu admettre un seul instant que les hommes seraient capables de comprendre ta résistance à cette tentation ? La nature humaine n’est point telle qu’elle puisse repousser le miracle et se satisfaire de la libre élection du cœur, dans ces instants terribles où les questions vitales exigent une réponse ! Oh ! tu savais que ton héroïque silence serait conservé dans les Livres et retentirait au plus loin des âges, aux dernières limites de la terre ! Oh ! tu espérais que l’homme t’imiterait et se passerait de miracles comme un Dieu ! Mais, comme l’homme n’est pas de force à se passer de miracles, il en invente ; il s’incline devant les prodiges des magiciens, les