Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/257

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rons aux hommes le bonheur qui sied à de débiles créa- tures, un bonheur fait de pain et d’humilité. Oui, nous leur enseignerons l’humilité, — contre toi qui leur en- seignas l’orgueil. Nous leur prouverons qu’ils sont dé- biles, qu’ils sont de faibles enfants, mais que le bonheur des enfants a de particulières douceurs. Us deviendront timides, ils ne nous perdront plus du regard, et, tout tremblants, se serreront contre nous comme des poussins s’abritent sous l’aile de leur mère. Us nous admireront en nous craignant et seront fiers eux-mêmes à la pensée de toute l’énergie et de tout le génie qu’il nous aura faUu pour dompter tant de rebelles invétérés. Ils auront peur de notre colère, et leurs yeux, comme ceux des enfants et des femmes, seront des fontaines de larmes. Mais com- bien aisément , au moindre signe de nous , passeront-ils de la tristesse au rire , à la joie douce des enfants ! Sans doute , nous les astreindrons au travail ; mais nous leur ferons, pour leurs heures de loisir, une vie organisée comme les jeux des enfants, mêlée de chansons, de danses, de chœurs innocents. Oh ! nous leur permettrons même le péché, — ils sont si faibles ! Et ils nous aimeront comme des enfants, parce que nous leur permettrons le péché. Nous leur dirons que tout péché commis avec notre per- mission sera pardonné, et c’est par amour que nous leur permettrons de pécher, car nous prendrons sur nous la peine de ces péchés et leur en aurons laissé le plaisir! Ils nous adoreront comme des bienfaiteurs, nous qui aurons pris sur nous la peine de leurs péchés ! Ils nous diront tout, et, suivant qu’ils seront plus ou moins obéissants, nous leur permettrons ou leur défendrons de vivre avec leurs femmes