Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/286

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avait dans le regard l’éclair d’une irritation profonde.

— Comme tu as le visage changé! Tu as perdu ta fameuse sérénité... Quelqu’un t’aurait-il offensé?

— Laisse-moi, dit Alioscha sans le regarder, et avec un geste désespéré.

— Oh ! oh ! comme nous sommes ! Voilà que nous crions comme les autres mortels, nous, un ange! Tu m’étonnes, Alioscha, je te le dis franchement.

Alioscha le regarda enfin, mais d’un air distrait.

— Est-ce vraiment parce que ton vieillard pue, que tu es- dans cet état? Croyais-tu donc vraiment qu’il allait faire des miracles ?

— Je le croyais, je le crois et je veux le croire, et je le croirai toujours ! s’écria Alioscha furieux. Que veux-tu de plus ?

— Rien du tout, mon petit pigeon. Que diable ! Mais les écoliers de treize ans n’y croient plus ! Du reste, ça m’est égal. Alors te voilà fâché avec le hon Dieu, hein? On ne l’a pas traité comme son grade le méritait? On \\o l’.i pas décoré ? Eh! vous autres !...

Alioscha regarda Rakitine en fermant à demi ses yeux où passait un nouvel éclair. Mais ce n’était pas contre Rakitine qu’il était irrité.

— Je ne me révolte pas contre Dieu. Mais je n’accepte pas son univers, dit-il avec un sourire gêné.

— Comment ? tu n’acceptes pas son univers ? dit Rakitine songeur. Quelle est cette lubie ?

Alioscha ne répondit pas.

— Laissons là ces bêtises. Au fait! — As-tu mangé aujourd’hui ?