Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/46

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vous qui lui avez suggéré l’idée de m’attirer chez elle ! Elle me l’a avoué elle-même en se moquant de vous ! Et maintenant c’est par jalousie que vous voudriez vous défaire de moi en me faisant mettre en prison, car vous l’obsédez de vos protestations d’amour ; c’est elle encore, entendez-vous ? c’est elle-même qui me l’a dit en riant de vous ! — Saint Père, considérez cet homme qui fait de la morale à son fils ! Vous tous, pardonnez-moi ma colère : j’étais venu ici dans l’intention de pardonner, s’il me tendait la main, de pardonner et de demander pardon. Mais il vient d’offenser la plus noble des créatures, une jeune fille dont je n’ose même pas prononcer le nom devant lui : je suis bien obligé de le démasquer publiquement, malgré qu’il soit mon père…

Il ne pouvait plus continuer, ses yeux jetaient des éclairs. Il respirait avec peine. D’ailleurs tout le monde était très-ému. Tous, excepté le starets, étaient debout.

Les moines avaient des airs graves et attendaient que le starets parlât.

Il était très-pâle, et un sourire rayonnait sur ses lèvres. Il levait de temps en temps les mains, comme pour arrêter les disputants, et certes une seule parole de lui eût mis fin à la scène, mais il semblait attendre quelque chose, il regardait fixement les uns et les autres, comme s’il eût cherché à se faire à lui-même une conviction.

À la fin, Petre Alexandrovitch Mioussov s’écria :

— Nous avons tous une part de responsabilité dans ce scandale. Mais j’avoue qu’en venant ici, je n’avais pas prévu une telle ignominie. Pourtant je savais à qui j’avais affaire… Il faut en finir ! Saint Père, j’ignorais les détails