Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/48

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rêve Dmitri Fédorovitch. Dites, peut-on lui permettre de souiller encore de ses pieds la terre ? ajouta-t-il en regardant autour de lui, tout en désignant du geste le vieillard.

— Entendez-vous ? entendez-vous, moines, ce parricide ? dit Fédor Pavlovitch. Voilà l’ « infamie », Père lossif ! Eh quoi ? « quelle infamie ! » Cette « vile créature », cette « femme de mauvaises mœurs » est peut-être plus sainte que vous tous qui faites ici votre salut ! Qui sait ? C’est le milieu où elle vivait qui la fait pécher dans sa jeunesse : « mais elle a beaucoup aimé ! » Et à celle qui a beaucoup aimé le Christ lui-même pardonna !…

— Ce n’est pas pour cet amour-là que le Christ a pardonné, répondit naïvement le bon Père lossif.

— Si, moine ! si ! c’est pour cet amour-là, moine ! Vous faites votre salut ici en mangeant de la choucroute, et vous vous croyez justes ! Vous pensez acheter Dieu au prix d’un petit poisson par jour !

— C’en est trop, firent des voix de tous côtés.

Mais cette scène de violence eut la fin la plus inattendue. Le starets se leva tout à coup de sa place. Tout éperdu de peur, Alioscha eut pourtant la présence d’esprit de le soutenir par un bras. Le starets se dirigea vers Dmitri Fédorovitch et, tout près de lui, s’agenouilla. Alioscha crut d’abord que le vieillard était tombé de faiblesse, mais il n’en était rien : à genoux, le starets salua Dmitri Fédorovitch en se prosternant jusqu’à terre, en touchant de son front le plancher. Alioscha demeura si stupéfait qu’il ne pensa même pas à soutenir le vieillard quand il se releva. Un faible sourire plissait à peine les lèvres du starets.