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assistait dépassaient toute mesure, sans marquer aucun mépris, sans laisser lire sur son visage qu’il condamnait tout cela. Son père, avec son flair d’ancien pique-assiette, l’observait, d’abord avec méfiance ; mais dès la deuxième semaine il se mit à l’aimer sincèrement, profondément, comme il n’avait jamais aimé personne ; et, bien que les larmes qu’il versait en l’embrassant fussent des larmes d’ivrogne, c’étaient des larmes vraies, pourtant.

D’ailleurs, partout on l’aimait, dans quelque monde qu’il allât. C’était ainsi depuis son enfance. Dans la maison de son bienfaiteur Efim Petrovitch Polienov, toute la famille l’avait pris en affection comme un véritable enfant de la maison. Or, il était venu là bien jeune, à l’âge où l’on n’a point l’adresse de se concilier la bienveillance. Mais c’était un don chez lui. À l’école ce fut de même, bien qu’il parût être de ces enfants qui provoquent plutôt chez leurs petits camarades la malice et même la haine que l’amitié. Il fut leur préféré pendant toutes ses années d’étude. C’est qu’il ne se faisait pas valoir et que, par conséquent, ses camarades ne pensaient jamais qu’ils fussent ses rivaux. Et ce n’était pas orgueil de sa part, mais cette chose naïve et excellente : il ne comprenait pas son propre mérite. De plus, il ne gardait jamais le souvenir d’une offense. Une heure après, il parlait avec tant de sérénité à celui qui l’avait offensé qu’on n’eût pu croire que rien de désagréable se fût passé entre eux. Un seul trait de son caractère prêtait à la raillerie, encore à la raillerie la plus douce. C’était sa pudeur farouche. Il ne pouvait supporter certaine façon de « parler femmes », laquelle est malheureusement invétérée parmi les gamins des écoles. Enfants encore et