Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/171

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— Tu es allé chez moi ? dit Ivan à voix basse et tout le visage contracté. Tu étais chez moi quand il est venu ?… Avoue-le ! tu l’as vu ? tu l’as vu ?…

— De qui parles-tu ? De Mitia ?

— Non ! Laisse-moi donc avec cette bête féroce ! hurla Ivan. Mais tu ne sais donc pas qu’il vient chez moi ? L’as-tu vu ? Parle !

— Qui, il ? Je ne sais ce que tu veux dire, fit Alioscha effrayé.

— Tu le sais ! tu le sais !… Autrement, comment ?… Il est impossible que tu ne le saches pas…

Il s’arrêta, resta comme absorbé dans sa pensée. Un sourire étrange crispait ses lèvres.

— Frère, dit d’une voix tremblante Alioscha, je te le dis parce que je sais que tu me croiras, et je te le dis pour toute la vie : ce n’est pas toi. Entends-tu ? pour toute la vie. Et c’est Dieu qui m’envoie te le dire, dût dès cette heure la haine nous séparer à jamais…

Mais Ivan Fédorovitch était redevenu maître de lui.

— Alexey Fédorovitch, dit-il avec un sourire froid, je n’aime ni les prophètes, ni les épileptiques, surtout les envoyés de Dieu, vous le savez trop bien. Dès ce moment toutes nos relations sont rompues, et, je crois, pour toujours. Je vous prie de me quitter tout de suite. Surtout, prenez bien garde de ne pas venir aujourd’hui chez moi, entendez-vous ?

Il se détourna et d’un pas ferme s’en alla droit devant lui.

— Frère ! lui cria Alioscha, s’il t’arrive quelque chose aujourd’hui, pense à moi !…