Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/176

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— Non.

— Dis-moi maintenant pourquoi tu m’envoyais à Tcheremachnia ?

— Vous vouliez aller à Moscou… Tcheremachnia est plus près.

— Tu mens ! Tu m’as conseillé toi-même de partir !

— C’était par amitié, par dévouement. Après moi-même, c’est vous qui m’intéressez le plus. D’ailleurs je vous ai dit de vous en aller pour vous faire comprendre qu’il allait arriver un malheur et qu’il fallait rester pour défendre votre père.

— Tu aurais dû me parler franchement, alors, imbécile !

— Mais j’avais peur de Dmitri Fédorovitch ! et puis je n’aurais jamais cru qu’il irait jusqu’à l’assassinat ; je pensais qu’il se contenterait de prendre l’argent… D’ailleurs, qui aurait jamais pu le croire ?…

— Mais alors, puisque tu dis toi-même que personne n’aurait pu le prévoir, comment, moi, l’aurais-je prévu ? Qu’est-ce que toutes ces ruses ?

— Il fallait me comprendre ; je vous conseillais d’aller non pas à Moscou, mais à Tcheremachnia. Cela signifiait que je désirais que vous fussiez le plus près possible.

— Certes, j’aurais dû prévoir… Et en effet je prévoyais une machination de ta façon… Mais tu mens ! tu mens ! s’écria-t-il comme si un souvenir subit lui revenait. Tu te rappelles qu’au moment de mon départ tu m’as dit : « Avec un homme intelligent il y a plaisir à parler » ? Tu étais donc content de me voir partir ?

Smerdiakov soupira plusieurs fois et rougit.

— J’étais content, dit-il en respirant avec effort, de vous