Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/181

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son visiteur à travers ses lunettes. Puis il les ôta et se leva paresseusement, sans aucune humilité, comme résolu à s’en tenir à la plus stricte politesse. Ivan remarqua tout cela en un clin d’œil, et surtout le regard mauvais et même hautain de Smerdiakov. Ce regard semblait dire : « Que viens-tu encore faire chez moi ? N’avons-nous pas assez causé déjà ? »

— Il fait chaud ici ! dit Ivan encore debout. Il déboutonna son paletot.

— Ôtez-le, dit Smerdiakov d’un ton de condescendance.

Ivan Fédorovitch ôta son paletot, prit de ses mains frémissantes une chaise qu’il approcha de la table et s’assit.

— D’abord, sommes-nous seuls ? demanda-t-il sévèrement. Ne nous écoute-t-on pas ?

— Personne… Vous avez dû voir qu’il y a un vestibule.

— Au fait, alors ! Qu’est-ce que tu chantais quand je t’ai quitté, la dernière fois, à l’hôpital ? que si je ne parle pas de ton art de feindre l’épilepsie, tu ne rapporteras pas au juge toute notre conversation auprès de la porte cochère ? Que signifie ce toute ? Qu’entends-tu par là ? Était-ce une menace ? Voulais-tu dire que je suis ton complice, que j’ai peur de toi ?

Ivan semblait parler avec une franchise calculée.

Le regard mauvais de Smerdiakov s’accentua. Son œil gauche se mit à cligner. Il répondit aussitôt, avec sa froideur habituelle, comme s’il avait voulu dire : « Tu veux que nous parlions franchement ? Soit » :

— Mais je sous-entendais alors que, prévoyant l’assassinat de votre propre père, vous l’aviez laissé sans défense : eh bien, je vous promettais de ne pas révéler vos prévi-