Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/201

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bord à moi, puis, s’étant aperçue que Grigori n’était pas là, elle se jeta dans le jardin et je l’entendis crier. J’étais déjà rassuré.

Smerdiakov s’arrêta. Tout en contant le crime, il jetait à Ivan des regards en dessous ; Ivan le considérait sans bouger, morne. Smerdiakov était très-ému et respirait avec peine, la sueur perlait sur son front. On n’aurait pu deviner s’il avait ou non des remords.

— Et la porte ? fit Ivan. S’il n’a ouvert la porte qu’à toi, comment Grigori a-t-il pu la voir ouverte auparavant ?

Ivan faisait ses questions d’une voix calme. Si quelqu’un les avait vus tous deux en cet instant pour la première fois, il les aurait crus en train de causer de choses ordinaires, d’un médiocre intérêt.

— C’est une illusion de Grigori, dit Smerdiakov avec un sourire. C’est un homme très-entêté : il aura cru voir la porte ouverte, et on ne l’en fera pas démordre. C’est un bonheur pour nous, car, après cette déposition de Grigori, l’affaire de Dmitri Fédorovitch est certaine.

— Écoute, dit Ivan Fédorovitch de nouveau troublé, écoute… J’avais encore beaucoup de choses à te demander, mais je les ai oubliées… Ah ! oui, dis-moi seulement pourquoi tu as décacheté l’enveloppe et l’as jetée à terre ?

— Si le crime avait été accomplie par un homme sachant d’avance quelle était la somme, il n’aurait pas, dans le moment, pris le temps de décacheter l’enveloppe. Autre chose, Dmitri Fédorovitch : il avait seulement entendu parler du paquet, il ne l’avait pas vu et ne pouvait savoir si ce paquet contenait bien réellement l’argent : il devait