Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/258

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et décrivit nettement comment l’esprit d’Ivan Fédorovitch avait commencé à se troubler durant ces deux derniers mois, perdu par cette idée fixe de sauver le fauve, l’assassin, son frère !

— Qu’il a souffert ! s’exclamait-elle. Il voulait atténuer la faute, il avait résolu d’avouer que lui-même n’aimait pas son père et avait peut-être désiré sa mort. Oh ! c’est une conscience merveilleuse, il en meurt !… Il venait chez moi tous les jours, comme chez son unique amie, — car j’ai l’honneur d’être son unique amie ! s’écria-t-elle avec un éclair dans les yeux. Il est allé chez Smerdiakov deux fois. Une fois, il m’a dit : « Si ce n’est pas mon frère qui a tué, si c’est Smerdiakov, je suis peut-être aussi coupable que lui, car Smerdiakov savait que je n’aimais pas mon père et pensait peut-être que je désirais sa mort. » C’est alors que je lui ai montré cette lettre, et il a été convaincu de la culpabilité de son frère. Il en était consterné. Il ne pouvait supporter la pensée que son propre frère fût un meurtrier. Il y a huit jours qu’il est malade de cette pensée ; il était comme dans un délire ; on l’a entendu parler tout seul dans les rues. Le médecin que j’ai fait venir de Moscou l’a examiné avant hier et m’a dit qu’un accès de fièvre chaude était imminent. Et tout cela à cause de ce misérable !… La mort de Smerdiakov l’a achevé… Tout cela, à cause de ce misérable !

Elle eut une nouvelle crise de nerfs. On l’emporta. À ce moment, Grouschegnka se jeta vers Dmitri en criant, et cela si précipitamment qu’on n’eut pas le temps de la retenir :

— Mitia ! s’écria-t-elle, elle t’a perdu ! Vous la connais-