Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/272

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se lève et crie : « C’est Smerdiakov qui a tué ! C’est Smerdiaicov ! » Or, Smerdiakov n’aurait pu assassiner qu’après que Karamazov avait terrassé Grigori, et Grigori avait vu la porte ouverte avant de rencontrer Karamazov ! On lui fait cette observation. Il reste atterré. Alors, comme dans un élan de sincérité, il se décide, soi-disant, à nous avouer tout et parle de son amulette. Nous l’interrogeons sur les détails, — toujours les points faibles dans ces sortes d’inventions. Nous lui demandons où il a pris les matériaux de cette amulette. Il se fâche sans pouvoir nous répondre : c’est là, selon lui, chose sans importance. Et pourtant, s’il pouvait établir qu’il a réellement, avec quelque linge qu’on pût retrouver, fabriqué cette amulette, ce serait un fait, un fait positif en sa faveur. Mais, à ses yeux, tout cela n’est que futilité, il faudrait le croire sur sa parole d’honneur ! Oh ! nous le voudrions ; nous désirerions vivement le croire ! Sommes-nous des chacals altérés de sang humain ? Établissez un seul fait favorable à l’accusé, nous nous réjouirons ! Mais il nous faut un fait palpable, réel ; l’opinion de son frère ne nous suffit pas : il ne nous suffit pas de savoir que Karamazov s’est frappé la poitrine, un soir, dans l’obscurité, pour nous convaincre de l’existence de cette amulette ! La vérité crie, pour l’instant, nous ne pouvons nous refuser à l’attester : nous accusons ! Quoi que puisse nous dire le défenseur célèbre de l’accusé, malgré toute l’éloquence que vous allez admirer et qui, certes, agira sur votre sensibilité, n’oubliez pas que vous êtes dans le sanctuaire de la justice. Rappelez-vous que vous êtes les serviteurs de la vérité, les défenseurs de notre sainte Russie et de la