Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/300

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m’est douloureusement cher. Ne l’oublie pas. Et, maintenant, pour ce seul instant, rêvons que ce qui aurait pu être soit, fit-elle avec un sourire pénible. Pourtant tu en aimes une autre, j’en aime un autre. N’importe, je t’aimerai toute ma vie ! Et toi aussi, tu ne cesseras pas de m’aimer, le savais-tu ? Oui, oh ! oui, aime-moi toute ta vie ! soupira-t-elle d’une voix tremblante et menaçante à la fois.

— Oui, je t’aimerai, et… sais-tu, Katia, sais-tu qu’il y a cinq jours, ce soir-là, je t’aimais ? Quand tu es tombée évanouie et qu’on t’a emportée, je t’aimais ! Toute ma vie ce sera toujours de même…

Ainsi se parlaient-ils en mots incohérents et exaltés ; ils se trompaient peut-être, mais ils étaient sincères, ils n’avaient pas d’arrière-pensée.

— Katia ! s’écria tout à coup Mitia, crois-tu que j’aie tué ? Je sais que maintenant tu ne le crois pas, mais alors… au moment où tu m’accusais, le croyais-tu vraiment ? L’as-tu jamais vraiment cru ?

— Je ne l’ai jamais cru. Je te détestais, je me persuadais que tu avais… Mais, aussitôt après ma déposition, j’ai cessé de le croire. Je suis venue ici pour te faire réparation… je l’oubliais…

— Cela t’est pénible, femme ! dit Mitia.

— Laisse-moi, murmura-t-elle. Je reviendrai, mais… maintenant… c’est trop…

Elle se leva. Tout à coup, elle jeta un cri et recula.

Grouschegnka venait d’entrer. Personne ne l’attendait. Katia s’élança vers la porte, mais s’arrêta devant Grouschegnka, devint blanche, d’une blancheur de craie et sanglota ces mots d’une voix à peine perceptible :