Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/325

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qui si souvent les frappe sans pitié ! quelle bonté ! quelle patience ! quelle beauté ! Il est touchant de songer que de tels êtres sont sans péché, car tout est parfait, Alexey, tout est sans péché, sauf l’homme. Le Christ est avec les bêtes avant d’être avec nous. Et comment pourrait-il en être autrement ? La Parole a été dite pour tous, et toute la création tend vers elle : qu’elles s’en doutent ou non, les petites feuilles, par le mystère de leur vie sans péché, les petites feuilles des arbres pleurent vers le Christ et lui chantent des louanges qui lui sont plus agréables que toute notre éloquence. Humilité, charité, toute la vérité est là, et je te dis que notre mission à nous, moines, est de persuader le monde de cette vérité. Car, malgré la hiérarchie apparente, il n’y a point de « premier » parmi nous. Nous nous servons les uns les autres, et chacun de nous sait qu’il est coupable devant tous. Le monde nous raille et se plaint grossièrement de la proverbiale inutilité du clergé noir[1]. Mais combien, dans ce clergé noir, d’hommes modestes et sincères qui ne cherchent que l’isolement, la paix et la prière ! Et c’est de ces altérés de prière et de solitude que viendra le salut de la terre russe. Ils conservent la Vérité, telle qu’elle leur fut léguée par les premiers Pères, les martyrs et les Apôtres. Quand il faudra, ils viendront la répéter au monde chancelant. Vois donc : les laïques n’ont que la science qui ne parle qu’à la logique des sens ; quant au monde spirituel, ils le rejettent avec majesté et dégoût, et, fondés sur leur science, ils ont proclamé la liberté. Mais qu’est devenue la liberté entre leurs

  1. Expression russe, les moines.