Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/107

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visage ?

Elle se leva, et, tenant le portrait à la main, alla se regarder dans une glace.

— Vite, reprenez-le ! s’écria-t-elle en rendant l’aquarelle, — ne le remettez pas à sa place maintenant, vous le rependrez plus tard, je ne veux plus l’avoir sous les yeux. — Elle se rassit sur le divan. — Une vie a fini, une autre lui a succédé qui à son tour s’est écoulée comme la première, pour être remplacée par une troisième, et toujours ainsi, et chaque fin est une amputation. Voyez quelles banalités je débite, mais pourtant que cela est vrai !

Elle me regarda en souriant ; plusieurs fois déjà elle avait jeté les yeux sur moi, mais Stépan Trophimovitch, dans son agitation, avait oublié sa promesse de me présenter.

— Pourquoi donc mon portrait est-il pendu chez vous sous des poignards ? Et pourquoi avez-vous tant d’armes blanches ?

Le fait est que Stépan Trophimovitch avait, je ne sais pourquoi, orné son mur d’une petite panoplie consistant en deux poignards croisés l’un contre l’autre au-dessous d’un sabre tcherkesse. Tandis qu’Élisabeth Nikolaïevna posait cette question, son regard était si franchement dirigé sur moi que je faillis répondre ; néanmoins, je gardai le silence. À la fin, Stépan Trophimovitch comprit mon embarras et me présenta à la jeune fille.

— Je sais, je sais, dit-elle, — je suis enchantée. Maman a aussi beaucoup entendu parler de vous. Je vous prierai également de faire connaissance avec Maurice Nikolaïévitch, c’est un excellent homme. Je m’étais déjà fait de vous une idée ridicule : vous êtes le confident de Stépan Trophimovitch, n’est-ce pas ?

Je rougis.

— Ah ! pardonnez-moi, je vous prie, je ne voulais pas dire cela, j’ai pris un mot pour un autre ; ce n’est pas ridicule du tout, mais… (elle rougit et se troubla). — Du reste, pourquoi donc rougiriez-vous d’être un brave homme ? Allons, il est temps de partir, Maurice Nikolaïévitch ! Stépan Trophim