Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/111

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En entrant, M. Kiriloff alluma une bougie ; sa malle, qu’il n’avait pas encore défaite, était dans un coin ; il y alla prendre un bâton de cire à cacheter, une enveloppe et un cachet en cristal.

— Cachetez votre lettre et mettez l’adresse.

Je répliquai que ce n’était pas nécessaire, mais il insista. Après avoir écrit l’adresse sur l’enveloppe, je pris ma casquette.

— Mais je pensais que vous prendriez du thé, dit-il, — j’ai acheté du thé, en voulez-vous ?

Je ne refusai pas. La femme ne tarda point à arriver, apportant une énorme théière pleine d’eau chaude, une petite pleine de thé, deux grandes tasses de grès grossièrement peinturlurées, du pain blanc et une assiette couverte de morceaux de sucre.

— J’aime le thé, dit M. Kiriloff, — j’en bois la nuit en me promenant jusqu’à l’aurore. À l’étranger, il n’est pas facile d’avoir du thé la nuit.

— Vous vous couchez à l’aurore ?

— Toujours, depuis longtemps. Je mange peu, c’est toujours du thé que je prends. Lipoutine est rusé, mais impatient.

Je remarquai avec surprise qu’il avait envie de causer ; je résolus de profiter de l’occasion.

— Il s’est produit tantôt de fâcheux malentendus, observai-je.

Son visage se renfrogna.

— C’est une bêtise, ce sont de purs riens. Tout cela n’a aucune importance, attendu que Lébiadkine est un ivrogne. Je n’ai pas parlé à Lipoutine, je ne lui ai dit que des choses insignifiantes ; c’est là-dessus qu’il a brodé toute une histoire. Lipoutine a beaucoup d’imagination : avec des riens il a fait des montagnes. Hier, je croyais à Lipoutine.

— Et aujourd’hui, à moi ? fis-je en riant.

— Mais vous savez tout depuis tantôt. Lipoutine est ou faible, ou impatient, ou nuisible, ou… envieux.

Ce dernier mot me frappa.