Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/224

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Et néanmoins, dans la circonstance présente, il en fut tout autrement.

La violence du coup l’avait fait chanceler. Dès qu’il eut recouvré l’équilibre, son premier mouvement fut de saisir Chatoff par les épaules, mais, presque au même instant, il retira ses mains, les croisa derrière son dos, et, pâle comme un linge, regarda silencieusement Chatoff. Chose étrange, il n’y avait aucune flamme dans son regard. Au bout de dix secondes, — je suis sûr de ne pas mentir, — ses yeux étaient devenus froids et calmes. Seulement sa pâleur était effrayante. J’ignore, naturellement ce qui se passait au-dedans de lui ; je me borne à rapporter le spectacle dont je fus témoin. Un homme qui saisirait une barre de fer rougie au feu et la tiendrait dans sa main durant dix secondes pour essayer sa force d’âme, — cet homme là aurait, je crois, une impression pareille à celle qu’éprouvait alors Nicolas Vsévolodovitch.

Le premier des deux qui baissa les yeux fut Chatoff, évidemment il fut forcé de les baisser. Ensuite il tourna lentement sur ses talons et se retira, mais sa démarche n’était plus la même que tantôt, quand il s’était approché de Nicolas Vsévolodovitch. Il sortit sans bruit, la tête inclinée vers le plancher, tandis qu’un mouvement particulièrement disgracieux soulevait ses épaules. Chemin faisant, il semblait raisonner à part soi et dialoguer avec lui-même. Après avoir traversé le salon en prenant ses précautions pour ne rien culbuter sur son passage, il entrebâilla la porte et se glissa presque de côté dans l’étroite ouverture.

Saisissant sa mère par l’épaule et Maurice Nikolaïévitch par le bras, Élisabeth Nikolaïevna se mit en devoir de les entraîner à sa suite hors de la chambre, mais tout à coup elle poussa un cri effrayant et tomba évanouie sur le parquet. En ce moment je crois encore entendre le bruit que fit le choc de sa nuque contre le tapis.