Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/231

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et il en fut très préoccupé, bien qu’il ne se trouvât guère alors en état de réfléchir. On découvrit plus tard que Pierre Stépanovitch était arrivé chez nous muni des meilleures références. Du moins, la lettre de recommandation qu’il remit à la gouvernante émanait d’une vieille dame dont le mari comptait parmi les hommes les plus influents de la capitale. Cette vieille dame, marraine de Julie Mikhaïlovna, lui écrivait que le comte K… avait fait, par l’entremise de Nicolas Vsévolodovitch, la connaissance de Pierre Stépanovitch, et qu’il le tenait pour « un jeune homme de mérite malgré ses anciens égarements ». Julie Mikhaïlovna mettait tous ses soins à conserver le peu de relations qu’elle avait dans la société dirigeante de Pétersbourg, elle accueillit donc avec une extrême affabilité le nouveau venu recommandé par sa marraine. Je noterai encore, pour mémoire, que le grand écrivain se montra fort aimable à l’égard de Pierre Stépanovitch et lui adressa tout de suite une invitation. Un tel empressement chez un homme aussi infatué de lui-même étonna au plus haut point Stépan Trophimovitch, mais je m’expliquai facilement le fait. Ignorant l’état vrai des choses, M. Karmazinoff croyait l’avenir de la Russie entre les mains de la jeunesse révolutionnaire, et il s’aplatissait d’autant plus devant les nihilistes que ceux-ci ne faisaient aucune attention à lui.

II

Pierre Stépanovitch passa aussi deux fois chez son père, et, malheureusement pour moi, je me trouvai là chaque fois. Sa première visite eut lieu le mercredi, c’est-à-dire quatre jours seulement après leur première rencontre, encore vînt-il pour affaire. Les comptes entre le père et le fils au sujet du bien de ce dernier se réglèrent sans tapage,