Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/240

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— Peut-être bien, fit avec un léger sourire Nicolas Vsévolodovitch.

— Ah ! vous l’admettez — enchanté ! Je savais d’avance que c’était votre opinion… Ne vous inquiétez pas, ne vous inquiétez pas, je ne suis pas fâché, et si tout à l’heure je me suis défini de la sorte, ce n’était nullement pour provoquer de votre part une protestation flatteuse, pour vous faire dire : « Allons donc, vous n’êtes pas incapable, vous êtes intelligent… » Ah ! vous souriez encore !… Je n’ai pas rencontré juste. Vous n’auriez pas dit : « vous êtes intelligent », allons, soit, je ne me formalise de rien. Passons, comme dit papa. Entre parenthèses, soyez indulgent pour ma prolixité. Je suis diffus, parce que je ne sais pas parler. Ceux qui savent bien parler sont laconiques. Cela prouve encore mon incapacité, pourquoi n’en pas profiter artificiellement ? J’en profite. À la vérité, en venant ici, je pensais d’abord me taire, mais le silence est un grand talent, par conséquent il aurait été déplacé chez moi ; de plus, on se défie d’un homme silencieux. J’ai donc jugé décidément que le mieux pour moi était de parler, mais de parler en incapable, c’est-à-dire de bavarder à jet continu, de démontrer et de toujours m’embrouiller à la fin dans mes propres démonstrations, bref de fatiguer la patience de mes auditeurs. Il résulte de là trois avantages : vous faites croire à votre bonhomie, vous assommez votre monde, et vous n’êtes pas compris ! Qui donc, après cela, vous soupçonnera de desseins secrets ? Si quelqu’un vous en attribuait, il se ferait conspuer. En outre, j’amuse quelque fois les gens, et c’est précieux. À présent ils me pardonnent tout, par cela seul que l’habile agitateur de là-bas s’est montré ici plus bête qu’eux-mêmes. N’est-ce pas vrai ? Je vois à votre sourire que vous m’approuvez.

Nicolas Vsévolodovitch ne souriait pas du tout ; loin de là, il écoutait d’un air maussade et légèrement impatienté.

— Hein ? Quoi ? Vous avez dit, je crois : « Cela m’est égal » ?