Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/250

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mais son attente aurait été trompée : Nicolas Vsévolodovitch conserva son calme. Pendant deux minutes il garda la position qu’il occupait tout à l’heure debout devant la table et parut très songeur ; mais bientôt un vague et froid sourire se montra sur ses lèvres. Il reprit lentement son ancienne place sur le coin du divan et ferma les yeux comme par l’effet de la fatigue. Une partie de la lettre, incomplètement cachée sous le presse-papier, était toujours en évidence ; il ne fit rien pour la dérober à la vue.

Le sommeil ne tarda pas à s’emparer de lui. Après le départ de Pierre Stépanovitch qui, contrairement à sa promesse, s’était retiré sans voir Barbara Pétrovna, celle-ci, fort tourmentée depuis quelques jours, ne put y tenir et prit sur elle de se rendre auprès de son fils, bien qu’elle ne fût pas autorisée à pénétrer en ce moment dans la chambre du jeune homme. « Ne me dira- t-il pas enfin quelque chose de définitif ? » se demandait-elle. Comme tantôt, elle frappa doucement à la porte et, ne recevant pas de réponse, se hasarda à ouvrir. À la vue de Nicolas assis et absolument immobile, elle s’approcha avec précaution du divan. Son coeur battait très fort. C’était pour Barbara Pétrovna une chose surprenante que son fils eût pu s’endormir si vite et d’un sommeil si profond dans une position à demi verticale. Sa respiration était presque imperceptible ; son visage était pâle et sévère, mais complètement inanimé ; ses sourcils étaient quelque peu froncés ; dans cet état il ressemblait tout à fait à une figure de cire. La générale, retenant son souffle, resta penchée au-dessus de lui pendant trois minutes ; puis, saisie de peur, elle s’éloigna sur la pointe des pieds ; avant de quitter la chambre, elle fit le signe de la croix sur le dormeur, et se retira sans avoir été remarquée, emportant de ce spectacle une nouvelle sensation d’angoisse.

Pendant longtemps, pendant plus d’une heure, Nicolas Vsévolodovitch demeura plongé dans ce lourd sommeil ; pas un muscle de son visage ne remuait, pas le moindre trace d’activité motrice ne se manifestait dans toute sa personne,