Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/276

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isme. Selon vous, Rome prêchait un Christ qui avait cédé à la troisième tentation du diable. En déclarant au monde entier que le Christ ne peut se passer d’un royaume terrestre, le catholicisme, disiez-vous, a par cela même proclamé l’Antéchrist et perdu tout l’Occident. Si la France souffre, ajoutiez-vous, la faute en est uniquement au catholicisme, car elle a repoussé l’infect dieu de Rome sans en chercher un nouveau. Voilà ce que vous avez pu dire alors ! Je me rappelle vos conversations.

— Si je croyais, sans doute je répèterais encore cela aujourd’hui ; je ne mentais pas quand je tenais le langage d’un croyant, reprit très sérieusement Nicolas Vsévolodovitch. — Mais je vous assure qu’il m’est fort désagréable de m’entendre rappeler mes idées d’autrefois. Ne pourriez-vous pas cesser ?

— Si vous croyiez ? vociféra Chatoff sans s’inquiéter aucunement du désir exprimé par son interlocuteur. — Mais ne m’avez-vous pas dit que si l’on vous prouvait mathématiquement que la vérité est en dehors du Christ, vous consentiriez plutôt à rester avec le Christ qu’avec la vérité ? M’avez-vous dit cela ? L’avez-vous dit ?

— Permettez-moi à la fin de vous demander, répliquant Stavroguine en élevant la voix, — à quoi tend tout cet interrogatoire passionné et… malveillant ?

— Cet interrogatoire n’est qu’un accident fugitif qui passera sans laisser aucune trace dans votre souvenir.

— Vous insistez toujours sur cette idée que nous sommes en dehors de l’espace et du temps…

— Taisez-vous ! cria soudain Chatoff, — je suis gauche et bête, mais que mon nom sombre dans le ridicule ! Me permettez-vous de reproduire devant vous ce qui était alors votre principale théorie… Oh ! rien que dix lignes, la conclusion seulement.

— Soit, si c’est seulement la conclusion…

Stavroguine voulut regarder l’heure à sa montre, mais il se retint.