Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/372

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comparaison peut être permise : c’était comme un petit cosaque de Don qui sautait sur sa propre tombe. Maintenant…

— Cessez, Stépan Trophimovitch. Vous êtes terriblement verbeux. Vous n’avez pas dansé ; vous êtes venu chez moi avec une cravate neuve, du linge frais, des gants ; vous vous étiez pommadé et parfumé. Je vous assure que vous-même aviez grande envie de vous marier. Cela se lisait sur votre visage, et, croyez-le, ce n’était pas beau à voir. Si je ne vous en ai pas fait alors l’observation, ç’a été par pure délicatesse. Mais vous désiriez, vous désiriez ardemment vous marier, malgré les ignominies que vous écriviez confidentiellement sur moi et sur votre future. À présent, il ne s’agit plus de cela. Et que parlez-vous de cosaque du Don sautant sur sa tombe ? Je ne saisis pas la justesse de cette comparaison. Au contraire, ne mourez pas, vivez ; vivez le plus longtemps possible, j’en serai enchantée.

— Dans un hospice ?

— Dans un hospice ? On ne va pas à l’hospice avec trois mille roubles de revenu. Ah ! je me rappelle, fit-elle avec un sourire ; - — en effet, une fois, par manière de plaisanterie, Pierre Stépanovitch m’a parlé d’un hospice. Au fait, il s’agit d’un hospice particulier qui n’est pas à dédaigner. C’est un établissement où ne sont admis que le gens les plus considérés ; il y a là des colonels, et même en ce moment un général y postule une place. Si vous entrez là avec tout votre argent, vous trouverez le repos, le confort, un nombreux domestique. Vous pourrez, dans cette maison, vous occuper de sciences, et, quand vous voudrez jouer aux cartes, les partenaires ne vous feront pas défaut…

— Passons.

— Passons ! répéta avec une grimace Barbara Pétrovna. — Mais, en ce cas, c’est tout ; vous êtes averti, dorénavant nous vivrons complètement séparés l’un de l’autre.

— Et c’est tout, tout ce qui reste de vingt ans ? C’est notre dernier adieu ?

— Vous êtes fort pour les exclamations, Stépan Trophimovitch.