Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/38

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peut-être leur hésitation, et ses dents serrèrent plus fort que jamais l’oreille d’Ivan Osipovitch.

— Nicolas, Nicolas ! gémit de nouveau celui-ci, — allons… la plaisanterie a assez duré…

Encore un moment, et sans doute le pauvre homme serait mort de peur ; mais le scélérat eut pitié de sa victime et lâcha prise. Le vieillard qui avait été dans des transes mortelles pendant toute une longue minute eut une attaque à la suite de cette scène. Une demi-heure après, Nicolas fut arrêté, emmené au corps de garde et enfermé dans une cellule spéciale, à la porte de laquelle on plaça un factionnaire muni d’instructions très rigoureuses. Cette mesure sévère contrastait avec la douceur habituelle de notre aimable gouverneur, mais il était si fâché qu’il ne craignit pas d’en assumer la responsabilité, au risque d’exaspérer Barbara Pétrovna. À la nouvelle de l’arrestation de son fils, cette dame entra dans une violente colère et se rendit aussitôt chez Ivan Osipovitch, décidée à réclamer de lui des explications immédiates. L’étonnement fut grand en ville, quand on apprit que le gouverneur avait refusé de la recevoir ; elle-même croyait rêver.

Et enfin tout s’expliqua ! À deux heures de l’après-midi, le prisonnier, qui jusqu’alors était resté fort calme et même avait dormi, commença soudain à faire du tapage ; il asséna de furieux coups de poing contre la porte, arracha par un effort presque surhumain le grillage en fer placé devant l’étroite fenêtre de sa cellule, brisa la vitre et se mit les mains en sang. L’officier de garde accourut avec ses hommes pour maîtriser le forcené, mais, en pénétrant dans la casemate, on s’aperçut qu’il était en proie à un accès de delirium tremens des mieux caractérisés, et on le transporta chez sa mère. Cet événement fut une révélation. Les trois médecins de notre ville émirent l’avis que les facultés mentales du malade étaient peut-être altérées depuis trois jours déjà, et que, durant ce laps de temps, ses actes, tout en offrant l’apparence de l’intentionnalité et même de la ruse,