Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/47

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ns à mes bals, du temps de Vsévolod Nikolaïévitch. Quant à Julie Mikhaïlovna, elle passait toute la nuit seule, assise dans un coin, avec sa mouche en turquoise sur le front ; personne ne la faisait danser, si bien que vers trois heures, par pitié, je lui envoyais un cavalier. Elle avait alors vingt-cinq ans, et l’on continuait à la mener dans le monde vêtue d’une robe courte, comme une petite fille. Il devenait indécent de recevoir chez soi ces gens-là.

— Il me semble que je vois cette mouche.

— Je vous le dis, en arrivant je suis tombée au milieu d’une intrigue. Vous avez lu la lettre de Prascovie Ivanovna, que pouvait-il y avoir de plus clair ? Eh bien, qu’est-ce que je trouve ? Cette même imbécile de Prascovie, — elle n’a jamais été qu’une imbécile, — me regarde avec ébahissement : elle a l’air de me demander pourquoi je suis venue. Vous pouvez vous figurer combien j’ai été surprise. Je promène mes yeux autour de moi : je vois cette Lembke qui ourdit ses trames et, à côté d’elle, ce cousin, un neveu du vieux Drozdoff, — tout s’explique ! Naturellement, en un clin d’œil j’ai rétabli la situation, et Prascovie fait de nouveau cause commune avec moi, mais une intrigue, une intrigue !

— Que vous avez pourtant déjouée. Oh ! vous êtes un Bismarck !

— Sans être un Bismarck, je suis cependant capable de discerner la fausseté et la bêtise où je les rencontre. Lembke, c’est la fausseté, et Prascovie la bêtise. J’ai rarement rencontré une femme plus affaiblie, sans compter qu’elle a les jambes enflées et qu’avec cela elle est bonne. Que peut-il y avoir de plus bête que la bêtise d’une bonne personne ?

— Celle d’un méchant, ma chère amie : un sot méchant est encore plus bête, observa noblement Stépan Trophimovitch.

— Vous avez peut-être raison. Vous souvenez-vous de Lisa ?

— Charmante enfant !

— Maintenant ce n’est plus une enfant, mais une femme, et une femme de caractère. Une nature noble et ardente. Ce