Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/59

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Elle quitta vivement sa place et jeta sur ses épaules son châle noir. Une légère rougeur se montra de nouveau sur les joues de Dacha, qui suivit la générale d’un regard interrogateur. Barbara Pétrovna se retourna soudain vers elle, le visage enflammé de colère :

— Tu es une sotte ! Une sotte et une ingrate ! Qu’as-tu dans l’esprit ? Peux-tu supposer que je veuille te mettre dans une position fausse ? Mais il viendra lui-même demander ta main à genoux, il doit mourir de bonheur, voilà comment la chose se fera ! Voyons, tu sais bien que je ne t’exposerais pas à un affront ! Ou bien crois-tu qu’il t’épousera pour ces huit mille roubles, et que j’aie hâte maintenant d’aller te vendre ? Sotte, sotte, vous êtes toutes des sottes et des ingrates ! Donne-moi un parapluie !

Et elle courut à pied chez Stépan Trophimovitch, bravant l’humidité des trottoirs de brique et des passerelles de bois.

VI

C’était vrai qu’elle n’aurait pas exposé Daria à un affront en ce moment même, elle croyait lui rendre un signalé service. L’indignation la plus noble et la plus légitime s’était allumée dans son âme quand, en mettant son châle, elle avait surpris, attaché sur elle, le regard inquiet et défiant de sa protégée. Daria Pavlovna était bien, comme l’avait dit la générale Drozdoff, la favorite de Barbara Pétrovna qui l’avait prise en affection quand elle n’était encore qu’une enfant. Depuis longtemps, madame Stavroguine avait décidé, une fois pour toutes, que le caractère de Daria ne ressemblait pas à celui de son frère (Ivan Chatoff), qu’elle était douce, tranquille, capable d’une grande abnégation, pleine de dévouement, de modestie, de bon sens et surtout de reconnaissance. Jusqu’à présent, Dacha paraissait avoir complètement