Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/6

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plus, il soutint avec éclat une thèse sur l’importance civique et hanséatique qu’aurait pu avoir la petite ville allemande de Hanau dans la période comprise entre les années 1413 et 1428, et sur les causes obscures qui l’avaient empêchée d’acquérir ladite importance. Cette dissertation était remplie de traits piquants à l’adresse des slavophiles d’alors ; aussi devint-il du coup leur bête noire. Plus tard, — ce fut, du reste, après sa destitution et pour montrer quel homme l’Université avait perdu en lui, — il fit paraître, dans une revue mensuelle et progressiste, le commencement d’une étude très-savante sur les causes de l’extraordinaire noblesse morale de certains chevaliers à certaine époque. On a dit, depuis, que la suite de cette publication avait été interdite par la censure. C’est bien possible, vu l’arbitraire effréné qui régnait en ce temps-là. Mais, dans l’espèce, le plus probable est que seule la paresse de l’auteur l’empêcha de finir son travail. Quant à ses leçons sur les Arabes, voici l’incident qui y mit un terme : une lettre compromettante, écrite par Stépan Trophimovitch à un de ses amis, tomba entre les mains d’un tiers, un rétrograde sans doute ; celui-ci s’empressa de la communiquer à l’autorité, et l’imprudent professeur fut invité à fournir des explications. Sur ces entrefaites, justement, on saisit à Moscou, chez deux ou trois étudiants, quelques copies d’un poème que Stépan Trophimovitch avait écrit à Berlin six ans auparavant, c’est-à-dire au temps de sa première jeunesse. En ce moment même j’ai sur ma table l’œuvre en question : pas plus tard que l’an dernier, Stépan Trophimovitch m’en a donné un exemplaire autographe, orné d’une dédicace, et magnifiquement relié en maroquin rouge. Ce poème n’est pas dépourvu de mérite littéraire, mais il me serait difficile d’en raconter le sujet, attendu que je n’y comprends rien. C’est une allégorie dont la forme lyrico-dramatique rappelle la seconde partie de Faust. L’an passé, je proposai à Stépan Trophimovitch de publier cette production de sa jeunesse, en lui faisant observer qu’elle avait perdu tout caractère dangereux. Il refusa avec un mé-