Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/72

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Pétrovna refusait absolument de le recevoir. À une de ses premières lettres (il lui en écrivit une foule) elle répondit net en le priant de la dispenser momentanément de tous rapports avec lui, parce qu’elle était occupée. « J’ai moi-même », ajoutait-elle, « plusieurs choses fort importantes à vous communiquer, j’attends pour cela un moment où je sois plus libre qu’à présent : je vous ferai savoir moi-même, en temps utile, quand vous pourrez venir chez moi. » Elle promettait de renvoyer à l’avenir, non décachetées, les lettres de Stépan Trophimovitch, attendu que ce n’était que de la « polissonnerie ». Je lus moi-même ce billet, il me le montra.

Et pourtant toutes ces grossièretés, toutes ces incertitudes n’étaient rien en comparaison du principal souci qui le tourmentait. Cette inquiétude le harcelait sans relâche, le démoralisait, le faisait dépérir, c’était quelque chose dont il se sentait plus honteux que de tout le reste, et dont il ne pouvait se résoudre à me parler ; loin de là, à l’occasion, il mentait et cherchait à m’abuser par des faux-fuyants dignes d’un petit écolier ; cependant lui-même me faisait appeler tous les jours, il ne pouvait rester deux heures sans me voir, je lui étais devenu aussi nécessaire que l’air ou l’eau.

Une telle conduite blessait un peu mon amour-propre. Il va sans dire que depuis longtemps j’avais deviné ce grand secret. Dans la profonde conviction où j’étais alors, la révélation du souci qui tourmentait tant Stépan Trophimovitch ne lui aurait pas fait honneur ; c’est pourquoi, jeune comme je l’étais, j’éprouvais quelque indignation devant la grossièreté de ses sentiments et la vilenie de certains de ses soupçons. Peut-être le condamnais-je trop sévèrement, sous l’influence de l’ennui que me causait mon rôle de confident forcé. J’avais la cruauté de vouloir lui arracher des aveux complets, tout en admettant, du reste, qu’il était difficile d’avouer certaines choses. Lui aussi m’avait compris : il voyait clairement que j’avais deviné son secret, et même que j’étais fâché contre lui ; à son tour, il ne pouvait me