Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pourtant dit que vos occupations vous avaient rendu malade.

— Oui, je suis souffrant, c’est pour cela que je voulais maintenant faire une promenade, je…

Stépan Trophimovitch s’interrompit, se débarrassa brusquement de sa canne et de son chapeau, et — rougit.

Pendant ce temps j’examinais le visiteur. C’était un jeune homme brun, de vingt-sept ans environ, convenablement vêtu, svelte et bien fait de sa personne. Son visage pâle avait une nuance un peu terreuse ; ses yeux étaient noirs et sans éclat. Il semblait légèrement distrait et rêveur ; sa parole était saccadée et incorrecte au point de vue grammatical ; s’il avait à construire une phrase de quelque longueur, il avait peine à s’en tirer et transposait singulièrement les mots. Lipoutine remarqua très bien l’extrême frayeur de Stépan Trophimovitch et en éprouva une satisfaction visible. Il s’assit sur une chaise de jonc qu’il plaça presque au milieu de la chambre, de façon à se trouver à égale distance du maître de la maison et de M. Kiriloff, lesquels s’étaient assis en face l’un de l’autre sur deux divans opposés. Ses yeux perçants furetaient dans tous les coins.

— Je… je n’ai pas vu Pétroucha depuis longtemps… C’est à l’étranger que vous vous êtes rencontrés ? balbutia Stépan Trophimovitch en s’adressant au visiteur.

— Et ici et à l’étranger.

— Alexis Nilitch est lui-même tout fraîchement arrivé de l’étranger où il a séjourné quatre ans, intervint Lipoutine ; — il y était allé pour se perfectionner dans sa spécialité, et il est venu chez nous parce qu’il a lieu d’espérer qu’on l’emploiera à la construction du pont de notre chemin de fer : en ce moment il attend une réponse. Il a fait, par l’entremise de Pierre Stépanovitch, la connaissance de la famille Drozdoff et d’Élisabeth Nikolaïevna.

L’ingénieur écoutait avec une impatience mal dissimulée. Il me faisait l’effet d’un homme vexé.

— Il connaît aussi Nicolas Vsévolodovitch.