Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/51

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du moins il s’arrêta tout à coup au milieu de la chambre et parut se demander s’il ferait un pas de plus en avant ou s’il se retirerait sur l’heure. À l’instant même la physionomie de Nicolas Vsévolodovitch changea d’expression, d’un air sérieux et étonné il s’avança vers le visiteur. Ce dernier ne prit pas la main qui lui était tendue, et, sans dire un mot, il s’assit avant que le maître de la maison lui en eût donné l’exemple ou lui eût offert un siège. Nicolas Vsévolodovitch s’assit sur le bord de sa couchette et attendit en silence, les yeux fixés sur Maurice Nikolaïévitch.

— Si vous le pouvez, épousez Élisabeth Nikolaïevna, commença brusquement le capitaine d’artillerie, et le plus curieux, c’est qu’on n’aurait pu deviner, d’après l’intonation de la voix, si ces mots étaient une prière, une recommandation, une concession ou un ordre.

Nicolas Vsévolodovitch resta silencieux, mais le visiteur, ayant dit évidemment tout ce qu’il avait à dire, le regardait avec persistance, dans l’attente d’une réponse.

— Si je ne me trompe (du reste, ce n’est que trop vrai), Élisabeth Nikolaïevna est votre fiancée, observa enfin Stavroguine.

— Oui, elle est ma fiancée, déclara d’un ton ferme le visiteur.

— Vous… vous êtes brouillés ensemble ?… Excusez-moi, Maurice Nikolaïévitch.

— Non, elle m’ »aime » et m’ »estime », dit-elle. Ses paroles sont on ne peut plus précieuses pour moi.

— Je n’en doute pas.

— Mais, sachez-le, elle serait sous la couronne et vous l’appelleriez, qu’elle me planterait là, moi ou tout autre, pour aller à vous.

— Étant sous la couronne ?

— Et après la couronne.

— Ne vous trompez-vous pas ?

— Non. Sous la haine incessante, sincère et profonde qu’elle vous témoigne, perce à chaque instant un amour insensé, l’amour le plus sincère, le plus excessi