Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/227

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je lui dirai : « Regarde-moi, monstre ! Vois mes joues creuses et mes haillons. J’ai tout perdu, position, bonheur, art, science, la femme aimée !…, (Qu’est-ce que je dis là ?…) Et tout cela à cause de toi ! Vois : j’ai deux pistolets dans les mains, je suis venu pour te tuer, et… eh bien ! je te pardonne ! » ― Alors je tirerai en l’air, et l’on n’entendra plus parler de moi… »

Je pleurais. Pourtant, je savais très-bien, en ce moment même, que c’était là une scène de Silvio ou de Bal masqué de Fermastor. Et soudain je me sentis si honteux… si honteux que j’arrêtai le cheval, descendis du traîneau, et restai dans la rue, au milieu de la neige.

Vagnka me regardait avec étonnement et soupirait en me regardant.

« Que faire ? y aller ? quelle sottise ! En rester là ? c’est impossible ! Après tant d’offenses ! Non ! ― Et je remontai dans le traîneau. ― C’est fatal. Fouette ! fouette ! » Et, d’impatience, je donnai un coup de poing sur la nuque du cocher.

― Et pourquoi me battre ? cria le petit moujik tout en fouettant sa rosse si fort qu’elle rua.

La neige fondante tombait à flocons. Je me